Christian Lapie. Dans les ténèbres. Commande de la Matmut, en dépôt à l'Historial Jeanne d'Arc, Rouen.
À la demande de la Matmut, le sculpteur Christian Lapie a réalisé un vaste ensemble de figures pour l'Historial Jeanne d'Arc, à Rouen. Cette œuvre dont on peut apprécier la portée symbolique est visible sur place à partir du 8 juillet 2016.
Tom Laurent : Le travail sculptural entrepris à Rouen pour l’Historial de Jeanne d’Arc – dont on sait à quel point son imagerie peut être accaparée par certains – participe-t-il d’une volonté de redonner à comprendre cette figure historique ?
Christian Lapie : Sur le projet de l’Historial à Rouen, tout un travail scientifique est mené à partir des archives d’époque et d’un important corpus sur l’évolution de l’imagerie de Jeanne d’Arc depuis lors. Il s’agit de décrypter, voire de démystifier, ce qui s’est principalement cristallisé au XIXe siècle : la force symbolique du projet est éminente. En travaillant sur ma propre réalisation, j’ai lu de nombreux écrits sur Jeanne d’Arc, dont le rapport du procès, et il m’est apparu que son personnage était traversé par une dualité. Par exemple, elle s’habillait en homme pour faire la guerre, mais lorsqu’elle était emprisonnée avant son procès, elle partageait sa geôle avec des gardiens masculins : ses vêtements d’homme lui servaient sans doute de camouflage pour se protéger. Jeanne d’Arc peut être simultanément une sorcière et une figure politique positive, c’est sa dualité.
Cela rejoint la pensée de Fernand Braudel qui affirme, à propos de « l’image de la France », que celle-ci ne peut être que « multiple »…
Oui, et ma volonté de créer une neutralité a souvent pour but la projection personnelle, l’interprétation, « le partage singulier du visible ». Plus j’avance dans cette démarche, plus je me rends compte que cette neutralité absorbe pour une grande part l’histoire des sites et la culture environnante. C’est le cas à Rouen, où cette figure anonyme ne devient Jeanne d’Arc qu’en se teintant de ce qui s’est tramé dans ce lieu, et continue d’exister...