EN

Voyage au festival Le Goût des Autres



Parti à la découverte du festival littéraire Le Goût des Autres au Havre, notre auteur Ulysse Baratin rend compte de son esprit, où les livres se font voix et corps.

Le Havre, son port, sa « poétique du béton », synonyme de sinistrose nordique et de mauvaise réputation ? Vendredi 22 janvier, ces tenaces préjugés tombèrent face à l’apparition de l’écrivain haïtien Dany Laferrière, nus pieds sur le carrelage de la rutilante piscine Jean Nouvel. Au même moment, les baigneurs danseurs hésitaient entre une brasse et le set électro de Rubin Steiner. Et par les fenêtres se découpaient les silhouettes foraines des trois chapiteaux accueillant le festival littéraire Le Goût des autres, ses rencontres d’écrivains, lectures et autres concerts. EZ3kiel venait de terminer un périple musical accompagné par, en lecteur inattendu du Blade Runner de Philippe K. Dick, le rohmérien Pascal Grégory. La dernière fois qu’on l’avait vu, il tentait d’apprendre, en vain, la planche à voile à Arielle Dombasles dans Pauline à la plage… Une ville change plus vite que le grain d’une voix et celle de cet acteur, dans son élégance, demeure reconnaissable dès les premiers mots.
Le Goût des autres en est à présent à sa sixième édition et s’ouvra cette année aux Amériques avec pour thématique « Les littératures des nouveaux mondes ». D’où le western, dont Céline Minard (auteur du remarqué Faillir être flingué en 2013) discuta avec le loquace et érudit cinéaste Bertrand Tavernier. L’Écossais Iain Levinson s’entretint de ces derniers romans, de même que la Cubaine Zoé Valdés, le Brésilien Bernardo Carvalho ou encore l’Américain Russel Banks, figure du roman étasunien. Le Salon du livre aurait-il migré au pays de Caux ? Non, car aux dires de Rozenn Le Bris, directrice du festival, « la littérature est un spectacle vivant ». Ainsi, l’auteur Romain Renard mit en musique et en vidéo sa bande-dessinée Melvile. Jérôme Kircher, Robinson Stevenin et Dominique Pinon firent une lecture de Vingt-mille lieues sous les mers réécrit par les pasticheurs des Boloss des Belles-Lettres. Les trois singularités de ces incomparables comédiens (sous-employés) s’accordèrent à merveille à la loufoquerie potache du duo (Reboux et Müller ayant trop écouté PNL). Il y eut même du tango, que l’on n’eut pas le plaisir d’entendre : à rester vingt-quatre heures à un festival de quatre jours, on part frustré… Voilà en tout cas qui donna du relief et une dimension collective, sinon festive, au plaisir solitaire de la lecture. Surtout lorsque l’accent est porté sur les croisements de genres et les approches décalées de la littérature. Là se situe la vraie spécificité de ce festival recevant de tout. Ça n’étonnera pas, il se déroule sur des docks.
Parce qu’il défend le livre (dans le cadre d’une salutaire politique d’encouragement à la lecture mise en place en 2012), Le Goût des autres est immensément sympathique. Qu’une mairie porte ce combat émancipateur plutôt que le tout numérique ou un vain glamour doit être salué. Surtout, ici pas de cette déplaisante déconnection entre les locaux et l’événement culturel. À cet égard, le travail fait par les fameux Boloss avec les élèves du lycée Jean Monet s’impose comme l’un des meilleurs aspects de ce festival.
Alors, si Le Havre continue à vous faire peur, voilà une séduisante porte d’entrée. Difficile de ne pas être, au moins, intrigué par cette ville à l’urbanisme unique et sans cesse renouvelée de gré ou de force depuis soixante ans. Quant à ceux qui resteront imperméables à Perret et Niemeyer, il reste toujours la vue de ces cargos venus de loin, voguant sur les eaux tendres et vertes de la Manche.

Ulysse Baratin


Notule
Pascal Grégory apparaît dans un autre Rohmer : L’arbre, le maire, et la médiathèque. Il y joue un édile soucieux de faire « rayonner » son village vendéen en y installant une médiathèque dernier cri. Ainsi, affirme-t-il, ses administrés auront enfin accès à la « culture ». Mais, pour construire la chose, encore faudrait-il raser un vieil arbre. Hélas, les habitants y sont très attachés et notamment un instituteur (Luchini jeune, un poème). Selon ce dernier, pour ce qui est de « la culture », un architecte parisien et des pratiques « modernes » ne sont pas nécessaires. On pourrait aussi bien, dit-il, aménager une vieille grange et laisser les locaux y organiser lectures, concerts et fêtes. En toute simplicité.
Le film date de 1993. Son acuité politique ne s’est jamais démentie.


Informations pratiques:
Festival littéraire Le Goût des autres
Le Havre. 19, 20, 21, 22 janvier 2017

Voir le site du festival