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Entretien : Andrew Edlin / Christian Berst, deux visions d'un art visionnaire



Les marchands Christian Berst, fondateur de la galerie du même nom à Paris en 2005, et Andrew Edlin, dont la galerie a pignon sur rue à New York depuis 2001 et qui a racheté la foire new-yorkaise Outsider Art Fair en 2012, tout en montant sa version parisienne, soutiennent certains artistes en commun. Pour autant, leur vision diffère, comme en témoigne cette série de questions et leurs réponses respectives.

Tom Laurent : Dans sa définition canonique de 1945, l’art brut est décrit par Dubuffet comme le fait de créateurs « indemnes de toute culture », soit à la marge de ce qu’il présente comme l’aliénation du système artistique. Plus de 70 ans après, celle-ci vous paraît-elle toujours opérante ? Dans quel sens l’amenderiez-vous ?


Andrew Edlin : Je pense qu’il est plus difficile aujourd’hui de trouver quelqu’un « indemne de toute culture » en raison de l’accès à Internet et d’un certain retrait de l’isolement. Il demeure que les artistes associés à cette forme d’art sont généralement déconnectés des réseaux artistiques et culturels pour des raisons spécifiques liées à leur vie personnelle, ou tout simplement parce que leur activité de création ne s’inscrit pas en dialogue avec l’histoire de l’art. Ce n’est pas une mince distinction.

Christian Berst : À l’aune de ce que l’on découvre de ces « anartistes », on s’aperçoit que cela n’a rien à voir avec l’autodidaxie, avec pour preuve la présence de spirites très éduqués dans les collections d’art brut, d’artistes professionnels même, qui s’adonnaient à des séances de spiritisme. Cependant, beaucoup d’entre eux étaient des gens cultivés et certains des artistes de métier. Simplement, quand il y avait ces moments de lâcher-prise, de transe, ils produisaient tout à coup quelque chose qui échappait à la codification et aux canons esthétiques, à ce qu'on leur avait appris. Et quid du schizophrène cultivé qui se met à produire frénétiquement ? Il n'est pas autodidacte non plus. C'est cela qui est intéressant et donc on voit bien que l’on ne peut pas juste se référer à une typologie, ni sociale et encore moins liée à l'apprentissage ou non de l'art. Je pense qu'il faut plutôt s’intéresser à l'altérité, qui peut être momentanée – comme dans les séances de spiritisme – ou constante dans le cas d'un autisme créateur ou Asperger de haut degré comme Widener, par exemple.


Extrait de l'entretien "Andrew Edlin / Christian Berst, Deux visions d'un art visionnaire" par Tom Laurent, publié dans le N°85 de la revue Art Absolument.
Parution le 19 septembre 2018

Portrait de Dan Miller présentant son travail. Courtesy Creative Growth Art Center. ©Photo : Leon Borensztein