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Contre-vents, exposer des luttes ?



Avec le cinquantenaire de mai 68, les expositions reprenant les images de la contestation ont fait florès l’année dernière. Mais si quelques initiatives en régions décalaient une iconographie largement « parisiano-centrée » – à Marseille ou à Strasbourg notamment –, ce sont bien souvent les images canoniques de barricades estudiantines dans le quartier latin qui étaient consacrées, obturant en partie les piquets de grève ouvriers et d’autres foyers importants. S’attachant à un territoire liant la Loire-Atlantique et la Bretagne, Contre-vents à Saint-Nazaire ouvre à d’autres perspectives.

« Lorsque nous avons monté L’esprit français sur les contre-cultures à la maison rouge, nous avions conscience du caractère très parisien de l’exposition. L’envie de Contre-vents à Saint-Nazaire nous est venue pour le contrebalancer et montrer d’autres figures, d’autres luttes aussi, qui se sont jouées en dehors de la capitale », expliquent Guillaume Désanges et François Piron. Pour autant, les deux expositions possèdent un parti-pris commun louable, celui d’ancrer leur exploration sur un temps long. De 1969 à 1989 pour L’esprit français, manière d’échapper à mai 68 et à son « image de l’étudiant parisien lançant des pavés qui a fini par effacer d’autres solidarités, dans les usines et dans les champs ». Si Contre-vents s’ouvre sur un montage d’images de la manifestation du 24 mai 1968 à Nantes, celle-ci réunit étudiants, ouvriers et paysans. Ces convergences se rejouent tout au long d’une suite d’initiatives méconnues aujourd’hui que les deux commissaires sont allés « sourcer » sur un terrain d’un rayon de quelques dizaines de kilomètres. Celle de la réalisation par l’anticolonialiste René Vautier et Nicole Le Garrec du film Quand tu disais Valéry sur les grèves de l’usine Caravelair en 1975, financée par la cotisation de dix francs de dix mille ouvriers, en est une – faisant écho aux groupes Medkevine créés en 1968, où Chris Marker et d’autres encourageaient des ouvriers à produire leur propre cinéma.

Extrait de l'article de Tom Laurent, publié dans le N°89 de la revue Art Absolument. Parution le 19 juillet 2019

Visuel : Vue de l'exposition Contre-vents(Solidarités ouvrières, étudiantes et paysannes dans l’Ouest : une généalogie), commissaires Guillaume Désanges et François Piron, 2019. Production Le Grand Café – centre d’art contemporain, Saint-Nazaire. Photographie Marc Domage